Jacques Ricou : interview
Laurence est une passionnée de chevaux en tout genre, allez…
ABC : Jacques Ricou, vous êtes connu pour être particulièrement proche des chevaux. Cet amour inconditionnel des chevaux vous donne certainement un grand feeling avec eux. Par exemple, pouvez-vous anticiper le comportement d’un cheval avant une course ?
Jacques Ricou : Nous, les jockeys, nous sommes en marge de la préparation du cheval avant la course. Les chevaux sont amenés au rond de présentation, et nous nous mettons en selle. Dès que je me mets à cheval, une connexion s’établit entre mon partenaire et moi. Je vais prendre contact avec lui. Nous nous rendons à la haie d’essai avec un galop de travail. Alors là, je peux me faire une première idée de son état de forme.
ABC. A quel moment sentez-vous cela ?
J.R. Généralement au bout de deux/trois obstacles… je peux savoir si le cheval est concentré. Si le cheval est n’est pas dans un bon jour, on essaie de compenser. On le stimule un peu… un appel de Iangue, on essaie de bien négocier un obstacle ou deux pour permettre au cheval de gagner quelques longueurs par son saut, qui lui permettront de se rapprocher du peloton ce qui l’encouragera.
Une course c’est une histoire… une histoire qui dure trois minutes au cours desquelles il peut se passer plein de choses !
ABC. Rejoindre les autres, mais aussi dépasser…
J.R. Oui, ils ont tous Ieur caractère et Ieur façon d’appréhender la compétition. Certains sont de vrais guerriers. II y en a qui aiment mener, être devant ; d’autres, plus rusés, plus « filous » ne vont pas se montrer, et quand on Ieur demande d’accélérer pour finir, ils vont sprinter…
ABC Vous parliez de négocier un obstacle pour permettre de gagner quelques foulées. En pratique, cela se passe comment ?
J.R. Comme en CSO, à trois/quatre foulées de l’obstacle, on se rapproche de notre cheval, il faut bien garder l’impulsion, afin qu’il fasse un saut en longueur…
ABC. La comparaison avec le CSO est interpellante…
J.R. Le point commun aux différentes disciplines de l’équitation, est l’équilibre. Mais en course, le jockey ne devrait pas avoir à trop intervenir, parce qu’à cette vitesse, c’est compliqué. II y a un gros travail à effectuer avec le cheval au quotidien, dès le plus jeune âge, pour qu’il apprenne à se gérer et à gérer son équilibre, et à se sortir de toutes les situations. Le jockey a juste à régler la vitesse et la direction…
ABC. En courses de plat, c’est plus clair ?
J.R. En plat, ce sont des courses de sprint. La course d’obstacles, c’est du fond, on a plus de temps. On peut prendre une seconde pour agir, alors qu’en plat, on n’a un dixième de seconde !
La difficulté est de savoir gérer la vitesse et l’effort. Parfois, on réduit la vitesse, on le Iaisse prendre son temps pour sauter et respirer, on écoute notre cheval.
ABC. Quand un cheval est un peu fatigué en cours de course, qu’est-ce qui vous alerte ?
J.R. Il raccourcit son action, il est moins tonique ; alors je le Iaisse tranquille pendant 200 mètres pour qu’il puisse souffler et recharger ses accus. Il arrive que je l’arrête. Pour nous permettre de gagner… Ou au moins de faire un parcours « école ».
ABC. Une course au cours de laquelle vous avez Iaissé souffler le cheval pendant 200 mètres peut-elle encore être gagnée ?
J.R. Oui ! Une course c’est une histoire… une histoire qui dure trois minutes au cours desquelles il peut se passer plein de choses !
ABC C’est un message de compréhension, de complicité entre l’homme et le cheval…
J.R. Oui, absolument. C’est une fusion.
ABC. Le monde des courses est parfois perçu très dur pour les chevaux. Et les courses de haies surtout sont parfois le théâtre d’accidents terribles…
J.R. C’est un fait que les courses peuvent entraîner des chutes et les chevaux peuvent se blesser. Souvent sans gravité mais chacun de nous a pu un jour ou l’autre être témoin de fins moins heureuses…
ABC. Cela existe aussi dans d’autres sports équestres. Mais certaines courses, comme le Grand National de Liverpool sont réputées très meurtrières…
J.R. C’est faux. Il est vrai que certaines épreuves sont spectaculaires. En ce qui concerne le Grand National, depuis plusieurs années, aucun des 40 concurrents n’a eu de fin tragique suite à une chute. En Angleterre et en Irlande, les courses de chevaux jouent un énorme rôle culturel et économique. De plus, en Grande Bretagne, les associations de défense animale sont particulièrement actives et rigoureuses sur la sécurité pour les jockeys comme pour les chevaux, elles ne font pas les choses à moitié ! Et si ces grandes courses perdurent, c’est parce qu’il y a eu des aménagements importants : les obstacles du Grand National, par exemple, ont été modifiés pour être beaucoup moins dangereux.
ABC. Peut-on envisager ce type d’amendements sur les hippodromes en France ? A l’instar de ce qui se passe en complet, où les gros obstacles sont remplacés de nos jours par des obstacles plus techniques, des petits directionnels par exemple…
J.R. C’est déjà ce qui se fait. Depuis quelques années d’années, il y a eu déjà beaucoup de modifications, des éléments en plastique mou remplacent les gros rondins de bois, notamment. Tous les ans, il y a du travail effectué. L’entretien des hippodromes coûte très cher, ces aménagements aussi, et il faut du temps. Il faut continuer !
Les choses ont changé beaucoup, grâce à l’importance de l’image, des réseaux sociaux… Et c’est une très bonne chose !
ABC. C’est également moins dangereux pour les jockeys. A cet égard, les amateurs ne sont-ils pas plus vulnérables ?
J.R. A la base les courses étaient créées par des amateurs, Je ne crois pas que ce soit beaucoup plus dangereux pour eux, car les amateurs ne montent que des chevaux qui ont du métier, ils ne montent pas de jeunes chevaux. L’expérience du cheval est importante. Avec les jeunes chevaux il faut être beaucoup plus attentif.
ABC. Depuis trois décennies, les trotteurs ont été profondément modifiés sur le modèle américain, beaucoup plus léger. Les chevaux de steeple ont-ils subi des transformations — moindres certainement — mais notables ?
J.R. Oui, les AQPS ont évolué aussi, comme tous les chevaux de sport. Mais un éleveur serait sûrement plus calé que moi pour vous en dire plus !
ABC. Dans une interview, le champion de CSO Patrice Delaveau disait que quand un cheval est bon, il est bon avec tous les cavaliers…Avec les bons cavaliers, j’entends… Diriez-vous qu’un bon cheval est bon avec tous les jockeys ?
J.R. Le talent du jockey est justement de déceler le potentiel du cheval. S’il s’agit d’un crack, on est dans l’excellence ; alors je dirais qu’il sera bon avec tous les bons jockeys. Mais pour les chevaux qui ont moins de qualité, cela dépend beaucoup plus du jockey et de son travail au quotidien.
Personnellement, et je n’ai pas honte de le dire, il y a des chevaux avec lesquels je ne m’entends pas…
ABC. Que faites-vous alors ?
J.R. Je prends mon mal en patience (Rires). Si je ne m’entends pas certains chevaux, il est possible qu’ils aient un caractère qui ne me correspond pas. Mais je compose avec…
ABC. Vous accordez beaucoup d’importance à la décontraction du cheval ?
J.R. Oui, c’est essentiel ! Et pour cela, il faut être toujours dans la légèreté avec la main souple, Tout est dans le rapport avec l’animal. Dès qu’on est dans le haut niveau, on doit être dans la finesse et la technique
ABC. Vous êtes Président de l’Association des Jockeys, qui donnera le 10 mai prochain son gala de bienfaisance dans le cadre des Grandes Ecuries de Chantilly. Parlez nous de l’action de cette association…
J.R. Notre association a été créée en 1929. Les jockeys n’ont qu’une seule association, contrairement aux entraîneurs et aux propriétaires, qui en ont plusieurs. Peu de gens le savent.
Les jockeys ne sont pas des salariés, ils ont le statut de travailleur indépendant.
Etre jockey est un métier à risques. Nous dépendons du ministère de l’Agriculture, nous ne sommes pas considérés comme sportifs. L’Association des Jockeys a pour mission principale d\’aider les jockeys en difficultés (déclaration d’accidents, reconversions, aides médicales et juridiques…). Le gala est une soirée caritative qui permet de récolter des fonds, afin entre autre d’améliorer notre quotidien.
ABC. Que conseilleriez vous à un jeune qui veut faire ce métier ?
J.R. De ne jamais perdre passion ! A la fin de ma carrière, je ferai peut-être un tout autre métier, mais je sais que je garderai la passion du cheval. Je ne pourrai pas passer à côté d’un pré avec un cheval sans ralentir et le regarder quelques instants…
Le jockey aux 5 cravaches d’or…
Jacques Ricou a remporté près de 1400 victoires — la 1000eme ayant eu lieu le 13 novembre 2011 à Auteuil avec Lutteuse Dancer.
II a remporté 13 « Cravaches »
Celles-ci se décomposent en 5 cravaches d’or :
- 2005 avec 130 victoires
- 2006 avec 133 victoires (record personnel)
- 2007 avec 129 victoires
- 2008 avec 61 victoires
- 2011 avec 106 victoires
4 cravaches d’argent (2000 – 2001 – 2002 – 2003)
et 4 cravaches de bronze ( 2004 – 2010 – 2012 – 2014)
Ses chevaux marquants ont été Jair du Cochet, et son cheval de tête Milord Thomas, avec lequel Jacques a gagné principalement les deux courses les plus prestigieuses en France, le prix de la Haye Jousselin en novembre 2014 et 2015, et le Grand SteepleChase de Paris en mai 2015.
Association des Jockeys FaceBook : Jacques Ricou Officiel Twitter : @ricoujacques
Instagram : jacques ricou officiel
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Laurence est une passionnée de chevaux en tout genre, allez on l'avoue un petit (hum très gros !) faible pour les chevaux arabes. Amatrice de découvertes diverses et variées, elle vous les livre et vous raconte ses derniers coups de coeur ou de gueule.