Pour Être avec les chevaux, on ne pouvait passer que par l’équitation
Souvenirs de débutant : juste être avec les chevaux
Cette histoire, partagée avec beaucoup de talent par Gaia Nova, n’est malheureusement pas un cas isolé. Ce fût toute une génération de cavaliers… Et nombreux d’entre-eux ont abandonné cette passion qui pourtant fût à un moment de leur vie, leur raison de vivre.
Je devais avoir 3 ans lorsque des chevaux sont arrivés pour une pause à la maison. Mes parents tenaient un restaurant aux portes de Bordeaux, un ancien relais de poste sur une voie de St Jacques.
Les chevaux étaient seuls, attachés, sellés, à l’ombre des arbres de mon jardin. Toute petite, j’avais le nez plus proche de leurs crottins que de leurs yeux. Je me souviens des odeurs musquées, des formes, des queues qui ondulaient, de ces géants immobiles au souffle profond et lent.
Ma grand-mère me tenait par la main. Elle avait toujours admiré les chevaux et m’amener les découvrir était un prétexte pour s’en approcher. Elle me transmettait les seuls commandements qu’elles connaissaient : « on ne s’approche pas par l’arrière car ils peuvent donner un coup de pieds et on prévient en arrivant pour ne pas les surprendre ». Tout de suite mise l’ambiance : le cheval est un être vivant, il a ses propres comportements spécifiques pour ses raisons à lui, il est différent de nous, nous devons faire attention à respecter qui il est, faute de quoi nous pourrions avoir des ennuis.
Ok, donc cet Être inconnu n’est pas un jouet, et j’aurais des raisons d’en avoir peur…
Le décor était planté !
Pendant des années, je me suis demandée comment approcher un cheval à l’attache, si ce n’est pas l’arrière ? dans des stalles ou lorsqu’ils sont en ligne, attachés au fonds du box….
Toujours avec cette petite appréhension au creux de l’estomac. « bon, d’abord je lui parle ».. « comment je fais pour savoir qu’il sait que je suis là ? », « comment savoir s’il est d’accord pour que je l’approche ? » , « puis-je le toucher ? » etc….
Le lien à la peur était installé, et n’a cessé de s’ancrer au fil des rencontres dans le seul lieu que j’avais trouvé pour apprendre : une Société Hippique animée par les Écuyers du Cadre Noir, venus de Saumur démocratiser l’équitation en région dans les années 60-70.
Des anciens chevaux de Saumur, bientôt retraités, des selles aux même origines et aussi en fin de vie, et des enseignants masculins, rompus à la formation des militaires….
Moi, petite fille de 11 ans, qui a atteint son objectif fixé pour on ne sait quelle raison au bout de 2 ans : convaincre laborieusement sa mère de troquer cours de danse, de solfège et de piano contre Equitation.
La prof de danse nous avait prédit que je me casserai les deux poignets et que je finirai par avoir les jambes en cerceau. La famille disait que c’était un sport de riche, ignorant que la reprise proposée à 7,50fr était très en-dessous des prix habituels, et probablement par rentable.
J’ai donc débuté, accoutrée d’un survêtement Adidas (en nylon) qui me faisait glisser sur la selle. Donc, après 3 reprises tout de même, au premier essai de trot, j’ai dévissé dans le premier coin du manège…. Inévitable vous me direz !
Aïe ! je me suis tassé vertèbres sacrales et dévié par la même occasion le coccyx.
J’étais grande, alors j’avais eu droit au plus grand cheval de l’écurie « Keep Happy », qui avait une drôle de trombine à cause d’hémiplégie de la tête, chose que je n’ai jamais plus revue de toute ma vie…. C’était un grand placide, raide, vieux, et tellement tolérant. Il avait peut-être eu sur le dos les meilleurs cavaliers français, formé tant de débutants, était-il un ancien athlète ? avait-il un passé en compétition, en dressage ? qui le saura jamais …. ?
Alors que les autres changeaient de monture, je l’ai eu très souvent, redoutant (étant donné sa grande taille) le moment de monter, très compliqué (nous n’utilisions pas de montoir), de descendre…. Et surtout de tomber. Alors le défi a été de ne pas tomber.
Ne pas tomber ! ne pas tomber !
En 2 ans de leçons hebdomadaires, je ne suis tombée que 7 fois, là où certains de mes compagnons tombaient 7 fois dans une même reprise. La rançon de la gloire a été que chaque chute était très très très douloureuse, et en principe due à un emballement ou un grand écart, un cheval moins tolérant, des erreurs accumulées par mes congénères et le moniteur….
Jusqu’à la dernière…
De nouveaux chevaux (style Camargue) étaient en cours d’intégration, avec nous, jeunes cavaliers sur la première reprise du jeudi à 7h30. Etant donné la pagaille et les pertes de contrôles qui se sont déroulées, c’était la probablement la première expérience du genre pour ces nouveaux venus, sans aucune explication ni préparation.
Moi, je montais « Rosier fleuri », cheval enfin à ma taille, sensible et réactif, qu’on me confiait depuis quelques temps probablement parce que je ne « tombais pas »…
D’un coté j’étais heureuse, car je pouvais apprendre à monter et descendre normalement, parce que je sentais une « entente » qui pouvait se mettre en place ou pas, si je parvenais à me coordonner avec lui.
D’un autre côté, il me fallait justement tout réapprendre, nouvel équilibre, nouveaux comportements, finesse, émotivité, répondant, irrégularités. Bref, l’animal était diamétralement opposé à Keep-Happy, c’était une recrue ne provenant pas du même endroit que les pré-retraités habituels.
Tout en ayant des appréhensions, je commençais à me sentir mieux, devenais-je cavalière ?
Malheureusement, en ce début de reprise chaotique d’un jeudi brumeux de février, une de mes congénères qui criait quand elle avait peur et tombait, tombait, tombait….., montait un des camarguais.
Sous les cris du moniteurs devant le désordre total, ça n’a pas pris plus de 3 minutes pour que, ne gérant pas les distances, ma camarade laisse son animal s’encastrer dans les postérieurs du mien, qui réagit par une ruade dans le coin du manège accouplé à un départ canon au galop. Cela m’a valu de glisser sur plusieurs mètres (retenant ma chute) sur le coté entre lui et le pare-bottes.
Un coup de genou en pleine face, par mon cheval lancé en plein galop, m’a carrément décollé le nez du crane.
Une fois au sol, et recroquevillée contre le mur, je laissais passer au-dessus de moi tous les chevaux embarqués pendant 2 ou 3 tours.
Rageant de la situation, l’officier moniteur m’a demandé, à peine relevée, de récupérer mon cheval et de remonter tout en me grondant d’avoir interrompu la reprise. Quelle injustice !!
Alors que je faisais une hémorragie et que je manquais de m’évanouir, et devant mon état chancelant, un militaire apprenti-palefrenier et spectateur pénétra l’enceinte sans autorisation, récupéra le cheval et m’allongea sur le sable du manège pendant que la reprise continua de se dérouler sous le mécontentement grandissant du maître de cérémonie vêtu de noir.
Je sens encore sa grosse paluche froide et tremblante sur mon front, j’entends son silence au milieu des vibrations des sabots sur le sol, il y a aussi le flot de sang chaud qui s’écoulait dans ma gorge, la douleur qui montait à la tête, la nausée.
Je me souviens du sentiment d’échec, de culpabilité d’avoir créé une situation inconvenante et dérangeante.
Je ne reçu aucun soin.
Tout juste capable de ramener le cheval au box, c’est le papa du gamin du box voisin qui s’enquit de mon état lorsque qu’il me vit assise dans le box pleine de sang. Pendant que son fils dessella le cheval, il parti informer un officier. Celui-ci me rendit visite, je ne pouvais voir que ses jambes arquées et son pantalon noir bouffant, mes yeux étaient troubles (injectés de sang) . Il me demanda ce qui s’était passé, et envoya son palefrenier « vérifier que le cheval n’avait rien ».
Je n’avais que 11 ans, mais je pressentis son sarcasme.
Le comble, c’est que cette SHN était installée sur le terrain de l’hôpital militaire régional, et qu’il n’y avait que quelques mètres à parcourir pour avoir accès à des soins. Je me suis retrouvée seule dans le centre équestre déserté. Le gentil papa mit mon vélo dans son coffre et me raccompagna. Sans lui et son altruisme, pas de téléphone portable en 1972 et aucune sollicitude environnante…. je vous laisse imaginer quelle aurait pu être la suite.
Au lieu de ça, j’eu droit à l’arrivée à une grande engueulade, de la culpabilisation, de la menace …
Seulement quelques semaines plus tard on me fît passer une radio prise de profil qui ne démontra rien. On l’aurait prise de face, on aurait constaté le décollement de la cloison et sa déviation, et on aurait pu y remédier… J’ai aujourd’hui, au milieu du visage, le souvenir de mon apprentissage enfantin auprès du Cadre noir !!
Alors oui, on a raison d’avoir peur !
Les 3 mois qui suivirent, à chacun de mes pas je ressentais des vibrations dans la tête, la face, je ne respirais que par la bouche, j’avais des maux de tête, je mouchais du sang….
L’équitation et la vie à la dure !!!
Je demandais tout de même à venir regarder les reprises préparatoires à l’examen du 1er degré. Je pouvais observer ainsi la leçon et les comportements de l’extérieur et voir ce que je n’avais jamais noté auparavant. Je ne décrochais pas. « et bien, tu n’es pas dégoûtée !? » me disait ma mère.
Je me souviens notamment d’un gamin qui ne devait avoir qu’un an de plus que moi, qui montait depuis à peine plus longtemps et que j’estimais « cavalier », un modèle. Je le vis sortir avec son cheval en main, et les yeux discrètement en pleur derrière ses lunettes. Pour moi, c’était un grand, un garçon, il était pâle, triste, tendu, déçu….. tous ces jeunes gens restaient sans voix, le silence était de mise dans les écuries avant et après les reprises, nous n’échangions pas.
Je sus dès cet instant que je ne passerai pas l’examen… le nez endolori était là pour me maintenir dans un niveau bas. Aller vers cet avenir de peur, de douleur, de souffrance était-il la contrepartie à la vie auprès des chevaux ? Et puis parce que j’avais peur, je n’étais pas capable.
J’obtins après négociation de ma mère avec l’adjudant-chef, l’autorisation exceptionnelle de « redoubler », aussi je repris à la rentrée au même niveau, avec des semi-débutants. Année d’engueulades, de galères et d’absentéisme…la peur et la sous-estime de moi grandissaient. Je n’avais pas peur du cheval mais de l’état dans lequel j’allais le trouver, et du maître et des situations qu’il allait nous présenter.
Allez, une petite dernière pour vous montrer un exemple de ce que nous devions traverser et que j’accueillais comme des défis.
Un jour, une fois de trop, l’un d’entre nous perdit son tapis de selle. C’était une reprise sur cavalettis. Le moniteur en tenue kaki cette fois-ci et légèrement plus décontracté que l’officier habituel nous demanda, tout bonnement, tout en continuant à marcher, de dessangler, et se débrouiller pour prendre la lourde selle et le tapis sur l’avant-bras, et ainsi nous retrouver pour la première fois à cru et les rênes dans une seule main… (sur des dos au rachis proéminents..). L’objectif étant de poursuivre la reprise de sauts sur cavalettis, encombrés comme nous l’étions. Une punition ?
Nous étions 9 cavaliers. 7 sont tombés dans les secondes qui suivirent, 1 lâchât la selle et le tapis. La seule qui resta « en selle » fut….. moi, avec le bras et le fondement endoloris, sur le point de lâcher.
La séance s’arrêtât sur le champs. Celui qui lâchât la selle ainsi ceux qui ont pleuré ont été privés de reprise jusqu’à la fin du mois. Je n’obtins ni punition ni félicitation. Ce fût ma dernière leçon dans cet établissement pour les 13 années qui suivirent.
Et vous ? quelle a été votre histoire ?