Ils en parlent : Remonter à 100 ans

leparisien.fr
mardi 22 mars 2022 18:23
ESSONNE
«Qu’il ne vienne plus nous dire qu’il est vieux» : à 100 ans, Armand remonte à cheval

Pour son anniversaire, sa famille lui a offert l’occasion de se remettre en selle, 80 ans après sa dernière expérience. Ce centenaire, qui fut cavalier durant la Seconde Guerre mondiale, était encadré par l’Arse, une association de rééducation par les sports équestres, à Saintry-sur-Seine (Essonne).

Apparemment, le cheval c’est comme le vélo : on n’oublie jamais. Ce mardi matin, Armand Loviat l’a prouvé. Alors qu’il n’était pas monté en selle depuis… 80 ans, ce centenaire aux yeux bleus et à la fine moustache blanche a vite retrouvé ses réflexes et ses marques. Pour souffler ses 100 bougies, sa famille lui a offert cette occasion unique de remonter à cheval. Ses proches ont pu réaliser ce souhait un peu fou grâce à l’Association pour la pratique équestre et la rééducation par les sports équestres (Arse) de Saintry-sur-Seine (Essonne), fondée en 1974 par Chantal Duvocelle.

Conduit par ses proches depuis sa résidence « non médicalisée » de Savigny-sur-Orge, Armand a d’abord fait connaissance avec sa monture. « Voici Noz, il a 21 ans, c’est le plus vieux de la bande. Il s’agit d’un postier breton », lui présentent Noah et Coline, deux étudiantes en Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives), l’une spécialisée pour les personnes atteintes de handicap et l’autre voltigeuse, qui ont encadré le centenaire pendant toute la séance.

« Je suis déjà fatigué, sourit Armand Loviat après avoir brossé Noz et enfilé des chaussures adéquates. Vous verrez quand vous aurez mon âge ! » Puis s’adressant au cheval directement : « Tu perds tes poils toi, t’es comme moi ! »

Après l’avoir sellé, Noah et Coline confient les rênes à Armand pour qu’il conduise Noz au manège. Le centenaire a pour l’instant toujours le pied à terre, il guide sa monture et a laissé sa cane de côté. Au milieu du manège couvert, un montoir est déjà en place pour l’aider à s’installer sur le cheval.

Tellement pressé qu’il grimpe les marches avant même que les éducatrices soient à ses côtés. « Attendez-nous ! » demandent-elles en arrivant en courant.

Elles n’ont même pas besoin de l’aider pour passer la jambe par-dessus la croupe du cheval. Armand fait cela avec une souplesse admirable. « Il m’épate, souffle Chantal Duvocelle, la présidente de l’Arse. J’ai 78 ans, je suis une gamine par rapport à lui, mais il me donne envie de m’y remettre aussi. »

Elle n’a pas hésité une minute lorsque la famille d’Armand l’a sollicitée, car au centre de Saintry, tous les publics sont accueillis, les personnes en situation de handicap physique ou mental, les personnes âgées, les personnes atteintes de sclérose en plaques, de la maladie de Parkinson, des tétraplégiques… « Depuis 1974, nous allions cheval et médico-social. Faire monter les valides à cheval, je trouve cela tellement ennuyeux. Alors accueillir un centenaire, cela ne m’a absolument pas fait peur, au contraire, cela m’a amusée », assure Chantal Duvocelle.

« Papa a fêté ses 100 ans le 29 novembre 2021, confie Mireille, qu’un moniteur en centre équestre a orientée vers l’association de Saintry. Nous lui avons demandé ce qui lui ferait plaisir. Il a demandé un tour en ULM, en brouette ou à cheval. En réfléchissant, il a éliminé l’ULM, j’ai préféré écarter la brouette, il restait le cheval. Il n’était pas remonté depuis ses 20 ans. Mais il avait été un cavalier émérite, et on l’a toujours entendu dire qu’il aurait aimé en refaire. »

« J’ai fait de la voltige »

Ce que l’intéressé confirme. « Je ne suis pas monté à cheval pendant une longue période de ma vie, explique Armand Loviat. Mais c’était intense, deux fois par jour, j’ai fait de la voltige à pied ferme et de galop. » Il a même participé à la Seconde Guerre mondiale en tant que cavalier, même pas âgé d’une vingtaine d’années. « Avec des attelages à la d’Aumont, se remémore-t-il en épelant le nom. Il s’agit d’une voiture tirée par quatre ou six chevaux, dans laquelle on plaçait les canons. En face, on avait les bombes allemandes. C’est comme cela que 39-45 a débuté. »

Ce mardi à Saintry, pas de conflit. Noz est parfaitement calme, un peu fainéant et il a besoin de tous les encouragements d’Armand pour avancer au pas. Après quelques minutes dans le manège, le cavalier et sa monture s’aventurent dehors, dans un grand pré. « Il est content, se réjouissent Mireille, Guillaume, Daniel, Chantal et Noah, les enfants, la belle-fille, le petit-fils et l’arrière-petit-fils d’Armand Loviat. Il s’est cassé la hanche il y a quatre ans mais rien n’y paraît. Qu’il ne vienne plus nous dire qu’il est vieux. Quand on le voit monter ainsi… »

Chantal Duvocelle est aussi épatée. « Il a une position quasi parfaite, applaudit-elle. Faudra revenir Armand ! Tous les midis, nous faisons de la médiation équine avec des personnes âgées de 80 à 98 ans. Bon, elles ne montent pas, on a fait une exception avec toi, tu es notre doyen. Mais elles s’occupent des chevaux. On va aussi bientôt reprendre les balades en calèche, il faudra essayer. »

Une invitation qu’Armand ne refuse pas. « Pourquoi pas. Cette petite promenade m’a beaucoup plu, même si j’ai trouvé la race de Noz plus lourde que les pur-sang que je montais. Je suis content d’avoir pu remonter à cheval, et j’ai été étonné d’avoir réussi à monter la jambe aussi facilement. J’en avais tellement envie depuis longtemps. Mais le temps passe, et il y a tellement de choses qu’on voudrait faire et qu’on n’accomplit pas. J’ai été militaire pendant 26 ans, puis j’ai travaillé au CEA (Centre à l’énergie atomique) sur le site de Bruyères-le-Châtel, plus la vie de famille… Cette balade m’a donné un peu de renouveau. »

par Cécile Chevallier